Comme il ya quelques mois, je viens une fois de plus aujourd’hui lancer un cri de désespoir pour appeler au secours, pour demander de l’aide pour Kribi.
Kribi est un département situé au bord de l’océan Atlantique au sud du Cameroun. Au sud de ce département, on vient de réaliser un projet pharaonique avec la construction d’un port maritime. Ce port constitue évidemment une avancée dans le développement du pays, et nous n’aurions rien eu d’autre à dire sinon vanter la grandeur de cette œuvre si au lieu d’un port en eaux profondes comme on le définit, il ne ressemblait pas de plus en plus à « un port en terres profondes », tel que je l’avais dénommé la première fois. En contemplant le port, on voit la mer très tranquille, mais à quelques mètres de la berge et jusqu’à plusieurs kilomètres loin de cette mer, aussi bien en largeur qu’en longueur, on observe comment les chinois (les nouveaux colons de l’Afrique) et leurs machines massacrent quotidiennement la forêt, rasent les humbles maisons des badjeli (les pygmées), ainsi que les villages des autres peuples autochtones. Personne ne dit rien et ne peut d’ailleurs pas le faire, parce qu’il s’agit de la course au développement et de la conquête du titre à la mode : pays émergent, qui est au jour d’aujourd’hui la fièvre de tous les Etats d’Afrique noire.
Kribi est une région composée de plusieurs ethnies, mais ici je n’en citerai que les deux principales : les Badjeli et les ndowe-batanga qui sont les suppliciés dont l’extinction totale est en train de s’observer… Le peuple Badjeli vivait dans la forêt tandis que les ndowe-batanga occupaient toute la côte de cette région jusqu’à la frontière avec la Guinée Equatoriale.
Les rapports des premiers explorateurs en Afrique attestent qu’à l’arrivée de ces derniers, certaines ethnies avaient leurs structurations monarchiques bien en place. Parmi celles-ci, il y avait l’ethnie ndowe-batanga, avec à sa tête un grand roi qui commandait tout le monde, mais sans être détenteur du pouvoir absolu puisqu’il dépendait des petits rois de chaque village qui à leur tour dépendaient des chefs de clans, et l’autorité de ceux-ci découlant des chefs de familles… C’est cette structure pyramidale qui sous-tendait plus ou moins le gouvernement de certaines ethnies au Cameroun et celles d’autres parties de l’Afrique noire. Ce mode d’administration tribale promouvait ordre et équilibre dans la population Ndowe-Batanga. Les différents rois, chefs de clans et autres chefs de familles étaient des guides et des repères dans cette société. On les admirait et les respectait, et ils faisaient de même pour le peuple. Cette structure fut conservée aussi bien à l’époque de la colonisation allemande que française, tout comme par le premier gouvernement de la période postindépendance.
Mais le gouvernement suivant a tout détruit. Du coup, les chefs de cette société tribale, ndowe-batanga se sont tous transformés en une espèce de pantins et clowns de cirques. Du gouvernement central, ils ont reçu le titre simples de chefs de 1er, 2è, 3è…, degrés de on ne sait quoi… Personne ne comprend si ces degrés les transforment en fonctionnaires administrateurs ou autre chose. La seule chose claire dans leurs fonctions actuelles est qu’ils sont tous représentants du parti politique au pouvoir, afin de lui assurer un cent pour cent de voix à toutes les élections dans leurs villages. Ainsi, ces chefs, hier personnes respectées et repères pour leur communauté, se sont peu à peu transformés en risée de leur peuple et d’eux-mêmes. Personne ne leur prête plus attention. C’est ainsi que le peuple ndowe-batanga complètement décapité, erre sans guides, contemple dans le silence la spoliation dont il est victime, ainsi que sa disparition prochaine en tant que peuple et ethnie…
C’est l’impuissance totale. Personne ne proteste au Cameroun parce qu’il n’y a personne à qui s’adresser. Le président, Paul Biya, du haut de ses plus de quatre vingt ans, dont plus de la moitié consacrés à l’exercice du pouvoir, passe pendant l’année plus de temps dans certains pays européens qu’au Cameroun, sûrement pour des raisons de santé… Et en fait, en Afrique Centrale, les hauts mandataires se sont autoproclamés Présidents-Monarques, ou mieux encore, Monarques-Présidents. Ils vieillissent et meurent tous au pouvoir pour être remplacés par leurs fils. Le vide est palpable au Cameroun. Quiconque a visité le pays ces dernières années a eu comme nous l’impression que notre pays n’est gouverné par personne. L’anarchie est totale et généralisée. Il est vrai, c’est une anarchie un peu ordonnée. Quelque chose comme « une anarchie auto ordonnée ». C’est cette situation que le personnage principal de ISSUBU, mon dernier roman, définit comme la démission collective du peuple camerounais. Oui, tous les camerounais semblent avoir démissionné.
Mais au milieu de cette insolite « anarchie auto ordonnée » et la démission collective du pays tout entier, il y a cependant un groupe de personnes qui profitent de tout et de tous. Ce sont les proches et les parents éloignés de notre « Roi-président », les membres de son ethnie, ses amis et les amis de ceux-ci. Ce sont eux qui, au moment où le projet du port était encore inconnu du reste des citoyens, achetèrent au franc symbolique, de vastes étendues de terres du sud de la ville de Kribi, pour les revendre à prix d’or une fois le projet rendu public. Une véritable spoliation que personne n’ose dénoncer dans notre anarchique Cameroun, avec son peuple démissionnaire, par peur de la force vengeresse de ce grand « clan » des membres de l’entourage du « Roi-président ». Et non contents de cela, ils ont davantage confisqué des kilomètres de terres à l’intérieur de la forêt, ainsi que dans les villages Ndowe-Batanga le long de presque toute la côte. Ils s’approprient les terres au nom du gouvernement, mais nous savons tous que c’est au profit des particuliers constitués des membres du clan de notre « Roi-Président ».
Ces derniers siècles, la population négro-africaine ne s’est souciée que du racisme des blancs à l’égard des noirs, et pour cela personne aujourd’hui ne veut s’intéresser « au racisme à l’africaine », c’est-à-dire des noirs envers les noirs, qui existe dans notre continent, et qui est au jour d’aujourd’hui le plus virulent et le plus dommageable. En fait, qu’est-ce que le racisme -comme je l’ai défini il y a peu-, sinon le malheur d’être faible et pauvre à un instant et à un endroit donné, face au fort, puissant et riche, de l’instant et de l’endroit lui aussi ? Dans certains pays de notre continent, les ethnies faibles et pauvres sont littéralement fouettées et anéanties par leurs propres compatriotes des ethnies fortes et riches si, comme dans le cas des badjeli et ndowe-batanga qui nous intéresse, il ya de grands intérêts économiques en jeu. Et précisément à cause des intérêts économiques en jeu partout où les grandes multinationales sont souvent derrière tous les coups, les échos des lamentations et de la douleur des victimes ne sont jamais entendus nulle part dans le monde. C’est ce que vivent les badjeli et les ndowe-batanga aujourd’hui dans la région de Kribi au Cameroun.
Ce genre de génocide silencieux et bâillonné dans certaines nations n’est pas souvent pris en compte par les grandes organisations mondiales comme l’ONU, l’Union Africaine, ni les autres… C’est pour cela que je viens ici lancer un S.O.S, un cri de désespoir à toutes les personnes de bonne volonté du monde, afin qu’elles aident à éviter un génocide camouflé qui est planifié contre les badjeli et les ndowe-batanga, de la région de Kribi au Cameroun.
Le projet du port en eaux profondes comme tout autre projet de cette envergure en vue de développer le pays est le bienvenu. C’est nécessaire, mais il doit être réalisé en respectant les droits et l’existence des autochtones du coin et ne pas contribuer à leur totale disparition à cause de la non-prise des mesures appropriées, tel que nous le voyons. Les projets de développement doivent également être effectués en respectant la préservation de l’environnement, les savanes et les forêts. La forêt de la région de Kribi était l’une des plus importantes du Cameroun, mais elle est en train d’être détruite sans ménagement. S’il vous plaît, aidez-nous à sauver le peu qui reste de la forêt de cette région, ainsi que ses habitants, les badjeli et les ndowe-batanga de la côte !
Septembre 2016
Inongo-vi-Makomè
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